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L’affaire du « Bidaou »

Pourquoi « l’affaire » du Bidaou ?

Eh bien ! Parce que, pour raconter en détails les tenants et les aboutissants de cette histoire, on pourrait mener la narration à la manière d’un roman policier.

Nous en avons tous les ingrédients :

- L’époque précise des évènements.

- Une scène de crime, les faits s’étant déroulés dans un périmètre géographique restreint.

- Des victimes ... des témoins.

- Les constatations médicales des dommages ayant entrainé la mort.

- Une enquête approfondie des pouvoirs publics.

- Des suspects…. des hypothèses, et bien sûr des fausses pistes.

- Enfin un coupable …, un procès en bonne et due forme et la sentence prononcée.

Que s’est-il passé?

Tout commence au début des années 90 dans le bassin d’Arcachon.

Une étrange épidémie de Rhabdomyolyse (RH) se développe dans la région, à la grande surprise des médecins et des pouvoirs publics.

Très vite on constate près d’une quinzaine de cas très sérieux, hormis les cas non déclarés, dont trois cas mortels, trois femmes d’âge différent.

Mais c’est quoi la Rhabdomyolyse ?

La définition tient dans l’étymologie : lyse = destruction – myo = muscle – rhabdo = strié.

Il s’agit d’une atteinte grave des muscles striés « squelettiques » dits muscles volontaires en opposition avec les muscles « lisses » dits automatiques, cela concerne donc les grosses masses musculaires des cuisses et de la ceinture scapulaire.

Les cellules endommagées se dégradent rapidement, libèrent leur contenu dans la circulation sanguine, comme la myoglobine, nocive pour les reins et qui peut entraîner une insuffisance rénale. La gravité des symptômes, qui peuvent inclure des douleurs musculaires, des vomissements et de la confusion, dépend de l'étendue des dégâts musculaires et de l'apparition ou non d'une insuffisance rénale. Le pronostic vital immédiat peut être engagé par une libération trop brutale du potassium dans le plasma sanguin lors d'une décompression,  pouvant aboutir –  dans les cas les plus graves et en l'absence de traitement urgent – à un arrêt cardio-circulatoire.

La surprise ne vient pas de la méconnaissance de la RH par les médecins, tous ont bien en mémoire le crush-syndrom ou syndrome de Bywatters survenu lors de la dernière guerre mondiale, en 1942, où cette maladie a frappé les personnes ensevelies sous les décombres des bombardements.

Un écrasement ou une compression prolongée des membres qui se termine par une insuffisance rénale, si le sujet n’est pas libéré rapidement. On retrouve ces mêmes phénomènes lors des catastrophes tels que les tremblements de terre et les attentats.

Mais le traumatisme musculaire entraînant un écrasement (ischémie) n’est pas la seule cause aux cas de RH.

L’évolution de la médecine a permis de déterminer qu’elle pouvait aussi être provoquée par :

-    Des efforts physiques intenses et prolongés accomplis sans préparation.

-    Une électrisation (passage d’un courant électrique dans le corps).

-    Une fragilité musculaire acquise dans les intoxications chroniques dues à l’alcool, les neuroleptiques,  les drogues (héroïne, cocaïne, ecstasy etc..) ou à la consommation de certains champignons.

-    Les intoxications par des agents chimiques (herbicides) ou médicamenteux (amphétamines).

-    Il existe aussi des causes infectieuses, virales ou microbiennes (SIDA, légionellose, toxoplasmose, hépatites virales), ainsi que des facteurs métaboliques (baisse du potassium, du phosphate).

Revenons-en à « l’affaire »

Les premiers éléments de l’enquête mettent en évidence que les cas de RH d’Arcachon étaient trop nombreux et simultanés pour provenir de causes traumatiques ou accidentelles.

Il s’agissait donc de myopathies toxiques. Il restait à identifier le coupable.

Les constats de l’enquête médicale.

Le dossier clinique des intoxications d’Arcachon fait ressortir :

Après un temps de latence de 24 à 72 heures, l’apparition progressive d’une fatigue rapidement intense, avec défaillance musculaire accompagnées de douleurs aiguës aux hanches et aux épaules, et de crampes prédominant au niveau des cuisses.

Les troubles musculaires s’accompagnent parfois de nausées et vomissements, difficultés respiratoires, rougeurs congestives de la peau du visage, insuffisance rénale globale avec défaillance cardiaque en phase finale dans les trois cas ayant entrainé la mort.

Les analyses réalisées sur les patients mettent en évidence une élévation démesurée du taux de CPK (créatine phosphokinase),  jusqu’à 227000 unités/litre chez une des trois patientes décédées alors que les valeurs normales chez la femme sont de 30 à 130 unités/litre. On constate par ailleurs des urines très foncées signant la présence de myoglobine. L’analyse histologique confirme la destruction des fibres musculaires.

Il s’ensuit une enquête épidémiologique.

Bien entendu, le nombre inquiétant de RH sévères et sans doute quelques autres plus modérées restées inconnues, surprend et inquiète les autorités. Quel est donc ce sérial killer ?

Les dossiers des victimes sont passés au crible en prenant en compte les éléments connus comme étant les plus grands pourvoyeurs de RH, mais on ne trouve rien de probant : pas d’alcoolisme, pas de toxicomanie, pas de thérapeutique par les neuroleptiques ou médicaments toxiques, pas d’affection dégénérative, pas de maladie infectieuse grave (ni SIDA, ni hépatite virale, ni tuberculose ou autre).

On s’intéresse alors au régime alimentaire des malades ; Et là, on découvre très vite, « bon sang mais c’est bien sûr ! », toutes les victimes ont consommé des champignons de manière abondante et répétée.

Le suspect N° 1 est mis en examen

Euréka ! Mais quel champignon ?

- Le « Bidaou » ! disent les proches des victimes.

Grosse rigolade des médecins et des mycologues, tout au moins ceux qui savent toujours tout et mieux que les autres. Le Bidaou est un excellent comestible !  Tout le monde en mange depuis toujours ! C’est écrit dans tous les livres. Et chez les prétendus spécialistes, tout le monde y va de son hypothèse.

On invoque d’abord la confusion avec un champignon vénéneux, ce ne peut pas être le Bidaou !

Théorie stupide pour certains : comment des amateurs de Bidaou de familles différentes, tous habitués des pinèdes landaises auraient-ils pu, quasi simultanément, chacun de leur côté confondre plusieurs récoltes avec d’autres espèces toxiques ? Et d’abord quel autre champignon ? Ce n’est pas sérieux !

On cherche d’autres suspect

Un autre plus malin prétend qu’il s’agit d’une intoxication phalloïdienne. Quelques phalloïdes plus jaunes que d’habitude auraient joué l’intrus au milieu des innocents Bidaous. Là encore, une telle méprise identique et répétitive semble peu crédible; Et puis, même si dans les intoxications phalloïdiennes on note une augmentation des CPK l’argument ne tient pas: Il n’existe pas d’hépatite dans le syndrome d’Arcachon. Et l’hépatite toxique est due aux Amanites et seulement aux Amanites. Là encore ça ne colle pas !

Un éminent spécialiste réfute cette hypothèse phalloïdienne et affirme solennellement qu’il s’agit d’un syndrome Orellanien en se basant sur une intoxication anciennement décrite qui aurait été provoquée par un cortinaire inconnu proche de splendens ou cinnamomeus. Et on met en cause le groupe Orellanus.

Mais cette hypothèse ne s’avère pas plus crédible que les précédentes.

Mais pourquoi ? Parce que chez les intoxiqués d’Arcachon, il n’y a pas d’inflammation des  reins, alors qu’elle est évidente dans le syndrome évoqué. On constate juste une insuffisance rénale globale, mais terminale, phase ultime du crush-syndrome confirmée par l’autopsie des trois malades décédés.

Il faut se rendre à l’évidence, et le verdict tombe :

Bidaou est déclaré COUPABLE.

La grande question.

Le voile est enfin levé, c’est bien lui le coupable, d’ailleurs les proches des victimes ont conduit les enquêteurs sur les lieux de récolte. Il n’y a pas le moindre doute. Mais maintenant il faut comprendre !

« Pourquoi ce champignon, réputé comestible parmi les meilleurs (selon les fanatiques incurables) est-il devenu toxique voire mortel ? »

Nouvelles hypothèses

Il y a bien des bruits qui courent depuis quelques temps sur la nature probable de la substance toxique. Mais les augures gardent le silence.

Malgré tout l’enquête avance.

On écarte tout de suite les théories irréalistes et extravagantes :

- Magnin prétend que la toxicité varie avec les saisons.

- Barnes suppose que les poisons frappent et puis s’en vont.

- D’autres y voient l’apparition d’un sosie, ou un hybride toxique.

Même le grand René-Charles Azema  y va de son couplet en supposant une mutation brutale qui aurait donné naissance à une substance toxique post tchernobylienne, théorie déjà avancée lors d’une intoxication en Russie qui a fait plus de 40 morts. Mais comment supposer que tous les Bidaous de la forêt mutent en même temps?

Puis on évoque la pollution chimique. Par qui par quoi ?  Il n’y a pas d’usine Seveso dans les environs, pas de métaux lourds qui se promènent dans l’air, pas d’agriculteur qui agresse les environs au pesticide. On a même supposé qu’un traitement des pins contre les chenilles processionnaires pouvait être en cause.

Rien de tout ça ne tient. Les symptômes constatés ne correspondent ni à une intoxication aux pesticides ou herbicides, ni aux empoisonnements par les métaux lourds.

Et puis, les analyses chromatographiques des Bidaous ramassés ailleurs révèlent des substances identiques à ceux du bassin d’Arcachon

C’est toujours pas ça, alors on propose un empoisonnement par je ne sais trop quel micromycète ou moisissure qui serait venu se développer sur nos braves Bidaous pour des raisons probablement météorologiques.  Et on accuse les Aspergillus et autre Penicillium. On va même à supposer qu’il s’agit d’une nouvelle toxine un peu hâtivement nommée « Auratine » par un célèbre mycologue. Là encore, l’enquête démontre le manque de crédibilité de cette théorie.

Il faut bien se résoudre à voir la vérité en face. Le poison était déjà dans le Bidaou, et depuis toujours.

Et on se repose la question fondamentale : Pourquoi ce champignon, consommé depuis la nuit des temps est-il devenu toxique et même mortel ?

La réponse est simple !

Il suffit d’interroger les mycophages qui hantent les forêts landaises depuis des générations et leur demander ce qui s’est passé cette année là.

Justement la poussée fongique n’était pas « normale ». Pour la première fois depuis longtemps il y avait peu de Cèpes. Par contre c’était une poussée extraordinaire pour le Bidaou, que l’on trouvait partout à profusion. Les casseroleurs ne se sont pas privés. L’enquête a démontré que les intoxiqués se sont empiffrés du Bidaou à tous les repas et en quantité inhabituellement conséquente.

Reprenons la définition du poison «  Substance introduite dans l’organisme en une dose particulièrement élevée ou par petites quantités successives et répétées pouvant ainsi affecter les fonctions vitales et même entraîner la mort ». La réponse était simple, mais encore fallait-il l’admettre.

Mais l’instruction n’est pas tout à fait terminée, on a le mode opératoire, mais toujours pas l’arme du crime : Quel est donc ce poison ?

Et si on se demande quelle est la particularité du Bidaou ?  Sa couleur !

Bon sang mais c’est bien sûr ! Il s’agit des pigments jaunes.

La toxicité du Bidaou.

La théorie des pigments toxiques avait déjà été évoquée par le Docteur Lucien Giacomoni et le Professeur Alain Gérault.

Chez le Bidaou on retrouve 2 sortes de pigments.

Les pigments jaunes de type « phénolique » en petite quantité.

Les pigments « anthraquinoniques » de loin les plus nombreux, déjà identifiés chez certains cortinaires. On sait que les anthraquinones sont cytotoxiques (altèrent le contenu des cellules musculaires),  mutagènes et cancérigènes.

Le Bidaou a-t-il agi seul ou avait-il des complices ?

Jusqu’à maintenant nous n’avons parlé uniquement que du Bidaou, mais de qui s’agit-il vraiment ?

C’est le nom vernaculaire local qui est donné dans le Sud-ouest de la France au Tricholome doré, Tricholoma auratum, Mais bien sûr tout ce qui en a été dit concerne également, au même titre : Tricholoma Equestre et de Tricholoma flavovirens son synonyme, auxquels on peut adjoindre T. prasinochrysum et T. chrysophyllum.

Certains mycologues d’ailleurs ne voient qu’une seule et même espèce entre T. Auratum et T. Equestre.

D’autres persistent à y voir une différence, au moins d’aspect.

 

La sentence.

Dès 2001 des revues spécialisées publient les résultats de travaux scientifiques concluant à la toxicité du Bidaou.

Le 16 juin 2004, un arrêté ministériel interdit l’importation et la vente de tous les champignons du groupe T. Equestre et en ordonne le retrait.

Suite aux propositions de l’Agence Française de Sécurité Alimentaire et de la DGCCRF, en vertu du fameux principe de précaution le Décret n°2005-1184 du 19 septembre 2005 promulgue l’interdiction d’importer, d’exporter,  la vente, la distribution gratuite et même la détention de tous les champignons du groupe Tricholome Equestre.

A noter que pour le moment c’est le seul champignon qui jouit de cette faveur. Les autres ne relèvent pour le moment que de décisions locales, c’est à dire qu’il existe de nombreux endroits où la vente de l’Amanite phalloïde n’est pas interdite !

Et après ? ….

Bien sûr, aucune mesure n’interdit la consommation et les acharnés continuent de le consommer. Certains admettent difficilement le fait prouvé que la consommation excessive et/ou répétée  de ces espèces peut les conduire à l’intoxication.  D’autres encore contestent carrément:

L’anecdote du bordelais…

Dans la région toulousaine, l’Institut Klorane, fondation créée par Les Laboratoires Pierre Fabre, poursuit depuis de nombreuses années, un travail de sensibilisation à la botanique et à la mycologie.

Elle édite pour se faire une brochure intitulée « Champignons toxiques et comestibles ».

Le 2 décembre 2008, Monsieur A… D… domicilié près de Bordeaux adresse une lettre incendiaire à Mr. André Cassan directeur des instituts Klorane. Il explique qu’il a trouvé leur brochure chez son pharmacien, et qu’il a découvert Page 12, que son « Bidaou » était stipulé MORTEL.

Il déclare fièrement, qu’il en mange tous les jours depuis plus d’une semaine et qu’il est toujours vivant.

Après diverses invectives disgracieuses opposant bordelais et toulousains, il somme l’auteur d’apporter les rectifications nécessaires, pour réhabiliter son cher « Bidaou ».

Le 12 décembre 2008, Louis Chavant, Professeur des universités à la Faculté de Pharmacie de Toulouse, auteur de la dite brochure, lui répond pour le compte de l’institut Klorane.

Il lui explique en détails les études qui ont été menées pour aboutir à cette conclusion et lui adresse à l’appui un Compte Rendu scientifique de la faculté de pharmacie de Bordeaux et l’article du « New England Journal of Médecine » qui avait publié les travaux d’une douzaine de scientifiques sur le sujet dès septembre 2001.

Le 20 décembre 2008, Monsieur A… D… adresse un nouveau courrier, directement au professeur Chavant. Il se confond en excuses, il lui annonce que son épouse et lui-même ont du être tous deux hospitalisés, pour les symptômes exactement décrits dans les documents qui lui ont été adressés.

Il convient peut-être pour conclure de rappeler la citation de Claude Bernard « Quand le fait que l’on rencontre est en opposition avec une théorie régnante, il faut accepter le fait et abandonner la théorie. »

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